Qu'est-ce-qui est le plus important?: Se souvenir de l'information ou bien se rappeler de l'endroit où on peut la trouver (c'est-à-dire de l'endroit où on l'avait trouvée antérieurement)?
Et d'ailleurs, le fait que l'on sache où la trouver implique-t-il que l'on n'éprouve pas (plus) le besoin de la mémoriser?
Ce sont évidemment des questions qui (dans la lignée du fameux article de Nicholas Carr) prennent un relief particulier dans un monde connecté dans lequel l'information est à un clic de souris. Ce sont des questions que des chercheurs de Columbia University, de University of Wisconsin-Madison et Harvard University résument dans le titre d'un article récent: Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips. Voici en quelques citations leur angle d'attaque et leurs conclusions liminaires:
"Our research then tested if, once information has been accessed, our internal encoding is increased for where the information is to be found rather than for the information itself."
"It would seem from this pattern that people don’t remember where when they know what, but do remember where to find it when they don’t recall the information. This is preliminary evidence that when people expect information to remain continuously available (such as we expect with Internet access), we are more likely to remember where to find it than we are to remember the details of the item. One could argue that this is an adaptive use of memory—to include the computer and online search engines as an external memory system that can be accessed at will."
"We are becoming symbiotic with our computer tools, growing into interconnected systems that remember less by knowing information than by knowing where the information can be found. This gives us the advantage of access to a vast range of information—although the disadvantages of being constantly “wired” are still being debated."
On ne peut s'empêcher de se demander si cette logique du juste à temps généralisée, du flux tendu au détriment du stock ne crée pas des vulnérabilités dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure. Cette logique qui sous-tend nos économies élimine dans un souci d'efficacité, de rentabilité, les redondances. Ainsi, nos banques qui nous donnent bien du souci ces temps-ci fonctionnent avec le minimum de capital propre et, donc, l'effet de levier maximal. Résultat des courses: catastrophique! Nos entreprises travaillent en flux tendu et l'on vient à subir la productivité plutôt que de la partager. Comme le rappelait récemment un ouvrier de l'industrie automobile: "enfant je rêvais de voiture, je rêvais de les construire; adulte, à la chaîne, j'y suis mais je ne vois aucune voiture, que des fragments de voiture..." Il suffit d'un grain de sable, un sous-traitant défaillant, un tremblement de terre etc... pour que tout le système déraille tellement sa tension est grande: la fragilité a pris le pas sur la robustesse jugée trop peu rentable, trop peu performante.
L'obsession est à l'optimisation, la performance; optimisation et performance que nous prenons pour acquises tant nous faisons (aveuglément?) confiance à ceux qui nous les promettent. Et, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent...
Fascinant lorsque l'on pense que ces calculs de rentabilité et de performance sont souvent erronés quand ils ne sont pas manipulés. Etonnant lorsque l'on plonge dans le monde de la biologie cellulaire pour y constater que les question de la robustesse y sont (en revanche) examinées avec la plus grande attention :
"In short, the trade-off dictates that high-performance systems are often more fragile than systems with suboptimal performance. Interestingly, there are studies reporting suboptimal metabolism performance in Bacillus subtilis and Escherichia coli (Stelling et al, 2002; Fischer and Sauer, 2005). If the trade-off holds, metabolic performance has to be kept suboptimal to ensure a certain level of robustness against environmental perturbations."
"It is important to clearly define robustness and adaptation through evolutionary selection. Here, ‘robustness’ means an individual organism's capability of tolerating external and internal perturbations, such as environmental fluctuations, the addition of drugs, and mutations. Robustness–performance trade-off means that, when two individuals are compared, one is found to be more robust than the other but is outperformed by the other; thus, no individual can be more robust and at the same time exhibit higher performance than others." (Hiraoki Hitano, juin 2010)
"Defining any scientific term is a nontrivial issue, but in this paper, the following definition will be used: 'robustness is a property that allows a system to maintain its functions against internal and external perturbations." (Kitano, 2004a)
Google (employé ici comme métaphore) donne à nos cerveaux une agileté informationnelle remarquable. Mais ne soyons ni dupes ni candides. Cette agileté a un coût dont nous n'avons pas encore pris la juste mesure tant l'emphase est mise sur cette information toujours juste-à-temps. Tout système optimisé est certes performant (par définition de l'optimisation) mais il est aussi fragile, agile et fragile.
Alors que vaut-il mieux des cerveaux robustes ou des cerveaux (fr)agiles?
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